UN GRAND MERCI


Un grand merci à « Ces Messieurs de la Martinique »

 

Comme disait l’autre : « Dans l’histoire, c’est le présent qui m’intéresse »

De ce point de vue, j’ai été comblé ces jours derniers. En Effet, l’actualité récente nous a plongés au cœur de cette histoire que d’aucuns nous enjoignent fermement d’oublier. Ce qui ne serait pas très difficile, car depuis le temps que cette entreprise amnésiante a commencé, beaucoup d’entre nous n’en connaissent que des rudiments parfois déformés par des mythes ou des idées reçues.

Mais comme j’ai pris l’habitude de me méfier de tous ceux qui prétendent avec insistance vouloir mon bonheur et savoir mieux que moi, ce qui m’est favorable, je préfère écouter celui qui a dit : « Ceux qui ignorent leur histoire s’exposent à la revivre ». Ne serait-ce pas ce qui nous arrive ?

 

Vendredi soir, en regardant sur Canal plus, le reportage « Les derniers maîtres de la Martinique », j’étais dans la jubilation. Je n’aurais jamais imaginé que nous puissions avoir un jour, une aide aussi précieuse pour démontrer à ceux qui veulent bien être un temps soit peu honnête que :

- D’une part, la connaissance de son histoire est fondamentale. Sinon pourquoi apprendrait-on l’histoire de France du primaire à la terminale ? Pourquoi monsieur Huygues-Despointes serait-il si soucieux de matérialiser une partie de la sienne, sur un arbre généalogique aussi dense et touffu, qu’il brandit avec tant d’ostentation ? (Seule la nôtre serait sans intérêt ou néfaste, à jeter impérativement aux oubliettes ?)

- D’autre part cette histoire éclaire avec éloquence notre présent.

Par exemple, les pratiques qui ont été découvertes avec étonnement par certains « aveugles », dans ce reportage ou lors du conflit sociale que nous vivons,  auraient-elles pu se concevoir en dehors du contexte historique qui a fait de la Martinique et la Guadeloupe, ces « sociétés » à trois vitesses avec une juxtaposition de communautés, dont certaines n’ont comme seule circonstance d’échange, que le lieu de travail, avec souvent des rapports hérités du passé, sans équivalent dans la société européenne à laquelle nous sommes censés appartenir ?  Aucun échange social, culturel, à fortiori amical entre certaines composantes et un fonctionnement de république bananière.

 

Convenez que cette société-là ne peut espérer prétendre au développement global et équilibré, ni conduire à l’épanouissement de tous les individus qui la composent, ce que j’appelle de mes vœux, et à quoi j’ai l’impudence de vouloir modestement contribuer, pour que mes enfants n’aient pas à me demander un jour, pourquoi j’ai accepté l’inacceptable.

 

Quelles que soient vos opinions sur ce qui suit, puis-je espérer que vous me lisiez jusqu’au bout, soit pour opposer des contre-arguments et faire avancer les choses. Soit, si je suis parvenu à vous convaincre, que vous repreniez ces idées à votre compte pour en convaincre d’autres.

 

Avant d’aller plus loin, je voudrais préciser mon état d’esprit pour éviter malentendus et procès d’intention.

 

Mon souhait le plus profond est que la Guadeloupe et TOUS les Guadeloupéens, profitant de leurs multiples potentialités (humaines, géographiques…) aillent de l’avant et prospèrent dans l’harmonie.

Force est de constater que des disparités sociales d’un autre âge et des rapports humains « exécrables » ne permettent pas l’émergence d’une société ayant une cohésion interne ni un projet commun.

Nous ne pouvons indéfiniment nous borner à ce constat. Pour avancer il faut avoir le courage de désigner et d’accepter les vraies racines du mal dans un esprit constructif de refondation.

 

Nous le savons pertinemment, mais nous refusons de nous y atteler, car tout changement crée une certaine angoisse devant l’inconnue du nouvel équilibre à atteindre, des inimitiés et l’opposition de tous ceux que la situation favorise.

 

Dernières précisions : Je ne crois pas en l’existence de races, inventées pour justifier des entreprises de domination et d’exploitation de groupes humains par d’autres. Mais bien que la science ait irrémédiablement disqualifiée ces catégorisations, nul ne peut nier que la « notion » de race est omniprésente à partir d’un certain moment de l’histoire et encore aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle, lorsque je parle de « noir », « blanc » ou « kako », ces mots seront mis entre parenthèses.

 

Ce cadre étant posé, venons-en au vif du sujet.

Sans, bien entendu, reprendre à mon compte les propos de monsieur Huygues-Despointes, je le remercie de les avoir tenus pour au moins trois raisons :

 

1) La première raison est que nombre d’entre nous, petits fils d’esclaves, répétons à loisir à tous ceux qui voudraient leur parler de notre histoire, qu’il faut oublier un passé révolu depuis 1848. Cela se comprend, quand on sait toute l’énergie développée avec constance par ceux que la vérité dérange pour nous maintenir dans l’ignorance.

Je pense qu’aujourd’hui, ils réalisent leur erreur. La preuve irréfutable leur est donnée. Cela  n’a jamais cessé ! Les mêmes schémas de pensées sont à l’œuvre comme avant 1848. Pourtant cela ne devrait pas être une révélation, puisque cette communauté pratique une endogamie stricte, à l’inverse de toutes les autres présentes sur ces territoires.

Peu-être que l’effet de l’âge du personnage (82 ans) n’a pas permis au filtre habituel de l’auto censure de retenir ce qui n’est jamais exprimé en public, mais forcément partagé par toute cette communauté. Autrement, l’arbre généalogique serait différent ! Du reste, ne nous laissons pas abuser par ceux qui prétendent se désolidariser en parole. Le seul démenti crédible serait l’exogamie. Sont-ils prêts à donner leurs filles en mariage à des descendants d’esclaves ? Leurs aïeux masculins ont déjà sévi, produisant les hommes de toutes les couleurs que nous sommes. Mais contrairement à ce que disent certains, mal informés, ce n’est pas du métissage. Il y a métissage lorsqu’une communauté donne ses filles à une autre communauté. Il existe un métissage entre hexagonaux et guadeloupéens d’origine africaine et indienne, entre guadeloupéens d’origine africaine et indienne, pas entre…

Attention, loin de moi l’idée de dire que le métissage est une obligation (chacun a la parfaite liberté de ses choix), ni la solution au racisme comme cela est parfois susurré naïvement. Il faut lutter contre le racisme par la culture, en respectant les différences, en faisait l’éloge de la différence.

 

2) La deuxième raison est que, ce reportage doit nous conduire, petits fils d’esclaves à une introspection.

En effet, pour être cohérent et aller au bout de la réprobation des idées racistes qui ont justifié la traite négrière et l’esclavage transatlantique, réaffirmées en 2009 par ce représentant de la « race pure ! », nous devons prendre conscience que nous avons dans la tête et la bouche, les mêmes pensées, les mêmes propos.

Lorsqu’une  chanteuse guadeloupéenne dit dans un succès actuel : « an pa mandé lapo nwé la, an pa mandé chivé gréné,.. né plat en mwen… », n’est-ce pas sous-entendu « si j’avais eu le choix, ils seraient différents », parce que j’établis une hiérarchie de valeurs et que les éléments cités sont mauvais ?

Personne n’a protesté contre ces propos qui sont exactement du même registre. Bien au contraire j’ai cru comprendre qu’on invitait nos jeunes à en faire une sonnerie téléphonique !

Lorsqu’un chanteur martiniquais dans une chanson plus ancienne dit : « En vérité dépi fon la guiné neg mové dan tet li, y mové dan tché y...Dépi en têt lévé fok fouté-y a tè….Dépi fon la guiné tout neg malélivé yo méchan yo mové yo jalou san fouté…la po nou toujou nwè l’espri nou enco pli nwè », n'est-ce pas affirmer que ces travers font partie intégrante du « neg » ?

J’ai interpellé l’interprète de cette chanson lors de sa venue pour un concert au Moule, il a refusé d’en débattre.

Les appels au boycott de la programmation de cette chanson sur les ondes ont-ils seulement été entendus ?

 

Monsieur Le Pen n’aurait pas osé tenir de tels propos, sachant qu’il tomberait sous le coup d’une condamnation pour incitation à la haine raciale.

 

Alors comment, petits fils d’esclaves, pouvons-nous reprendre à notre compte, les idées qui ont asservi et avili nos ancêtres ?

Simplement parce que ces messieurs qui veulent encore aujourd’hui, préserver la « race pure » n’ont pas produit que du sucre, de la banane et autres liquides sucrés, ils nous ont « produits » à leur « image ». Nous sommes leurs symétriques dans leur échelle de valeurs, qu’ils ont réussie à nous faire intégrer et que nous transmettons de génération en génération, sans en saisir l’origine, puisque nous refusons de nous pencher sur notre passé.

C’est bien nous, et pas eux, qui parlons de « po chapé » « bel ti chabine », « vié neg nwè »

« neg mové sé en gèn a yo ca yé »….

C’est peut-être la raison pour laquelle, il n’y a pas eu de réaction plus vigoureuse de réprobation de notre part, suite aux propos tenus par ce chevalier la légion du déshonneur.

Notre société a été construite sur le racisme, grâce au racisme que nous avons intériorisé à tel point qu’il n’est plus perçu pour ce qu’il est. Il n’y a pas de racisme « anti noir » ou « anti blanc » il y a le racisme un point c’est tout. Intolérable d’où qu’il vienne et quelle que soit sa forme, encore plus quand il est insidieux comme celui qui règne entre nous depuis si longtemps, au point qu’il n’est même plus identifié comme tel, mais vécu comme normalité !

La Guadeloupe est une société multiethnique, dont la majorité de la population a souffert du racisme. C’est une plaie, pas seulement lors qu’il s’exerce à notre encontre. Ne nous rendons pas coupable de le pratiquer même inconsciemment, envers les autres ou nous-mêmes

 

Il serait bien que le dernier tube du top 50 « la gwadloup cé tan nou, la gwadloup cé pa ta yo », soit entendu par tous uniquement dans le sens d’un état d’esprit pas d’une couleur de peau.

Je vois comme « Nou », tous ceux qui se reconnaissent dans les valeurs locales et veulent bien prendre part à la construction positive de ce territoire, qu’ils soient « jaune », « rouge », « noir », « blanc » ou « kako ».

Je vois comme « Yo », tous ces prédateurs arrogants , quelle que soit leur couleur, qui ne

s’intéressent à la Guadeloupe que par le biais des devises qu’elle peut leur procurer.

Combien de fois n’avons-nous pas été attristés devant le sentiment que les guadeloupéens, ne manifestaient pas la conscience d’être détenteur d’un trésor commun à préserver.(par leur comportement vis à vis de l’environnement par exemple…), pour ne pas nous réjouir d’entendre ces mots s’ils sont les prémices d’une prise de conscience. Je souhaite que ce chant continue à résonner au-delà de ce conflit mais surtout dans nos actes quotidiens.

 

Je pense que vous aurez compris que je suis viscéralement un antiraciste. Par contre, dire que dans ce pays, il existe une pyramide sociale correspondant à une pyramide pigmentaire, ce n’est pas du racisme mais un constat sociologique irréfutable. Seuls les daltoniens n’ont pas vu la différence de composition entre les assemblées des patrons du Médef et des très petites entreprises !

 

3) La troisième raison pour laquelle je remercie monsieur Huygues-Despointes, est qu’il me donne l’occasion de dire à ceux qui pensent encore que la soi-disant « mentalité antillaise », recouvrant certains  défauts considérés comme partie intégrante du « noir », ainsi que l’illustre la deuxième chanson citée plus haut, est la survivance d’un système savamment mis en place et entretenu, par leur initiateurs, mais aussi inconsciemment par nous-mêmes.

Ces défauts étaient des nécessités essentielles pour la pérennité du système esclavagiste et pour cela, instillées par de pernicieuses techniques, en nos ancêtres, de génération en génération, pendant plusieurs siècles.

Pour ne prendre qu’un exemple : tout était fait pour que les esclaves se méfient les uns des autres voire même se détestent, afin d’éviter coalitions et révoltes qui menaceraient les maîtres en infériorité numérique.

Depuis 1848, rien n’a été fait pour contrer une telle gangrène. Aujourd’hui si nous ne connaissons pas l’histoire, nous nous contenterons de dire que les « noirs » ne sont pas solidaires, convaincus qu’il s’agit d’une de nos caractéristiques naturelles. Cette croyance erronée nous condamne à ne rien entreprendre pour que cela change, ce qui continue  à servir les mêmes intérêts qu’avant 1848, à notre détriment.

Beaucoup de petits fils d’esclaves en Guadeloupe sont convaincus que les « noirs » sont naturellement jaloux les un des autres. Cette idée intégrée comme les autres, procède de la même démarche et témoigne de notre méconnaissance du fonctionnement des sociétés africaines dont nos ancêtres ont été extirpés.

En revanche, lorsque que deux candidats à la présidence de la république ou deux candidates à la présidence d’un parti politique national, s’étripent au point d’avoir parfois à en répondre devant des juges d’instructions, nous ne disons pas « blan jalou » !

 

 Il ne s’agit pas, pour nous, de camper dans une posture victimaire, mais bien au contraire, de débusquer tous ces défauts fabriqués et ensemencés en nous au fil du temps pour les besoins d’une cause qui n’était pas la nôtre et qui aujourd’hui nous empoisonnent la vie en nous cantonnant dans l’échec, pour la plus grande prospérité des mêmes.

Tant que nous n’aurons pas balayé ces préjugés auto entretenus, ces Messieurs de la Martinique et d’ailleurs auront gagné. Est-ce là notre souhait ?

 

Il ne s’agit pas de se plonger dans le passé pour y demeurer, mais plutôt pour mieux appréhender le présent et ainsi, enfin, construire l’avenir.

 

Mais « Ceux qui ignorent leur histoire s’exposent à la revivre » !

 

Gabriel Erin

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