LE CHLORDECONE AUX ANTILLES

Publié le par S-EAU-S


Lettre de S-EAU-S     Février 2006
 


Antilles : silence on empoisonne !


Les nouvelles que nous recevons de Guadeloupe et de Martinique sont véritablement effarantes. Avec la bénédiction de l'AFSSA (l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments), l'Etat Français, sous la signature du ministre de l'économie des finances et de l'industrie, du ministre de l'agriculture et de la pêche, du ministre de l'outre-mer, du ministre de la santé et des solidarités, vient d'autoriser la consommation de denrées alimentaires d'origine animale et végétales contaminées à des taux élevés par le chlordécone, un pesticide particulièrement redoutable utilisé sur les bananes.

 


Rappel des faits :

Octobre 2002 : une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique sont saisies par la répression des fraudes sur le port de Dunkerque. Elles présentent une forte contamination par le Chlordécone, un insecticide puissant utilisé sur les exploitations de bananes et interdit depuis 1993.

Juillet 2001 : un rapport est remis à Dominique Voynet, ministre de l'environnement, et à Dominique Gillot, secrétaire d'état à la santé. Rédigé par deux inspecteurs généraux des affaires sociales et de l'environnement, il décrit un état de pollution "difficilement admissible" ainsi que les risques sanitaires courus par la population (cancers, troubles neurologiques et de la reproduction).

Mars, Octobre 2003 : deux arrêtés préfectoraux en Martinique puis en Guadeloupe imposent l'analyse des sols avant toute mise en culture de légumes racines. Les sols contaminés ne doivent pas être

utilisés. Tout légume produit sur un sol non contrôlé doit être analysé et retiré de la vente s'il contient des traces de pesticides.

Juillet 2005 : dans l'indifférence estivale est rendu public le rapport de la commission parlementaire qui s'est rendue sur place en février de la même année. Elle constate que les arrêtés ne sont pas appliqués, d'ailleurs comment pourraient-ils l'être ? Elle apprend aussi que le Chlordécone ne se dégrade pas et pourrait rester dans les sols pendant plusieurs siècles.

En conclusion : le rapport propose de fixer une limite maximale de résidus (LMR) en dessous de laquelle des produits contenant du chlordécone pourront être consommés.



L'état des lieux, aujourd'hui


En avril 2005 était créé par les cinq ministères concernés (Agriculture, Ecologie, DOM-TOM, Santé, consommation et répression des fraudes), le GEP (Groupe d'Etude et de Prospective "organochlorés aux Antilles") Un premier séminaire en Octobre 2005, en Martinique, permettait de faire le point.

      -  Aucun indice de dégradation du chlordécone n'a été relevé, seul le lessivage, très lent, des sols permettra leur décontamination. Cela prendra plusieurs siècles dans certains types de sols.

     - On pensait que seuls les tubercules, racines, oignons… étaient contaminés mais on rencontre le pesticide également dans certaines parties aériennes des plantes (base des cannes à sucre et d'ananas)       

     -On espérait pouvoir décontaminer biologiquement les sols mais les plantes ne concentrent pas le chlordécone. Leur teneur est bien inférieure à celle des sols.

      -40% des espèces animales marines étudiées sont contaminées

      - Des espèces d'eau douce vivant au sud de Basse Terre présentent des concentrations très importantes (tilapia, ouassou). La pêche a été interdite dans les cours d'eau concernés.

     -La cartographie des sols pollués a été engagée en Guadeloupe. 4000 hectares (1/6 des terres agricoles) seraient ainsi pollués.

     -Sur les anciennes bananeraies ont été établis des "jardins créoles" qui nourrissent les familles. Des lotissements ont été construits. Leurs habitants sont particulièrement concernés.

Face à ce constat faudra-t-il interdire toute culture sur les terres contaminées des Antilles et cela pour des siècles ? C'est là qu'intervient l'AFSSA (Agence française de Sécurité Sanitaire des Aliments).


L'AFSSA paravent des "politiques"?


L'AFSSA est supposée protéger la santé des citoyens. Il semblerait que son rôle soit plutôt de fixer les normes derrières lesquelles pourront se retrancher les "politiques". Vérification avec le cas du chlordécone.

Pour rendre légale la consommation d'un aliment contaminé par le chlordécone, l'AFSSA a fixé une LMR (limite maximale de résidus). Sur quelle base ? "Il existe très peu de données chez l'homme" reconnaît l'AFSSA. Elle affirme donc s'être basée sur des études statistiques concernant les habitudes alimentaires des populations antillaises. La "norme" sera d'autant plus élevée que les produits seront peu consommés. Imaginons le procédé appliqué en Bretagne : 80% des bretons ne boivent plus l'eau du robinet, on devrait donc pouvoir porter la norme de 50mg/l de nitrates jusqu'à 200mg. De cette façon il n'y aurait plus une seule rivière, plus un seul captage, plus une seule source qui serait "polluée" en Bretagne. Toutes répondraient aux normes !

C'est ce principe qui a été appliqué aux Antilles. On a admis que 8 aliments (dachine, patate douce, igname, concombre, carotte, tomate, melon et poulet) pouvaient être consommés s'ils contenaient jusqu'à 50microgrammes de chlordécone par kilogramme. Pour d'autres, moins consommés, la limite était portée à 200microgrammes. Pour mémoire, l'eau, pour être déclarée potable, doit contenir moins de 0,1 microgrammes de pesticide par litre. On pourrait donc consommer un aliment qui contiendrait 2000 fois cette dose !

C'est avec cette recommandation de l'AFSSA que les ministères de la Santé, de l'Outremer, de l'Economie, de l'Agriculture ont publié un arrêté fixant ces normes de consommation. C'est ainsi que les préfets des Antilles ont eux-mêmes publié des arrêtés qui en précisaient l'application.

Avec ces nouvelles données le GEP estimait pouvoir "alléger la contrainte que la pollution des sols par le chlordécone" faisait "peser sur la production végétale". La moitié des sols "détectés contaminés" allaient, par ce simple choix d'une "norme", pouvoir être déclarés aptes à la production et mis en culture. Ainsi le chlordécone qu'ils contiennent continuerait à contaminer les générations de consommateurs qui allaient se succéder dans les siècles à venir.

Une question, parmi d'autres nous vient à l'esprit : Allons nous logiquement pouvoir maintenant accepter à Dunkerque les patates douces qui y avaient été précédemment détruites ? Allons nous les trouver à Rungis ou dans les divers marchés de l'Europe continentale ? La commission européenne va-t-elle enregistrer cette nouvelle "norme" ou ces normes resteront-elles spécifiques aux Antilles ? Oubliés des lois sur l'eau, les DOM-TOM vivront-ils également sous un régime sanitaire d'exception ?

En attendant, en Guadeloupe des citoyens n'acceptent pas ce mépris et cette fatalité. Ils se sont regroupés dans un collectif "Agriculture-Société-Santé-Environnement" (ASSE) qui a décidé de porter plainte pour mettre chacun face à ses responsabilités.

S-EAU-S




DOM-TOM : Les oubliés des lois sur l'eau.
 

Même si on sait, à présent, que le problème de la pollution des eaux par les nitrates et les pesticides est général sur l'ensemble du territoire français où plus des 3/4 des ressources sont contaminées à des degrés divers, la Bretagne reste un modèle du genre. Pourtant c'est à des milliers de kilomètres de l'hexagone qu'il faut aller chercher les exemples les plus dramatiques de territoires contaminés : dans les paradis ensoleillés de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane ou de la Réunion. Mobilisés pour lutter contre la pollution ici, nous sommes solidaires des autres régions aussi lointaines soient-elles. Cela commence par l'information.

Une cargaison de patates douces a alerté la métropole en Octobre 2002 quand les fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes ont arrêté, sur le port de Dunkerque, une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique et contenant des quantités importantes de Chlordécone. Cet insecticide extrêmement toxique utilisé sur les exploitations de bananes est interdit depuis 1993.

Pourtant cette pollution était déjà bien connue. Le 5 Juillet 2001 un "Rapport sur la présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine en Guadeloupe" avait été remis à Dominique Voynet, ministre de l'environnement, et à Dominique Gillot, secrétaire d'état à la santé par le docteur Henri Bonan de l'Inspection Générale des Affaires Sociales et Jean-Louis Prime de l'Inspection Générale de l'Environnement.


Guadeloupe : un rapport explosif.


Ce travail faisait suite aux résultats d'une campagne renforcée de contrôle des teneurs en pesticides dans l'eau, menée par le DDASS de Guadeloupe qui avait montré des taux très élevés de pesticides organochlorés (Chlordécone, Dieldrine et β-hexachlorocyclohexane (HCHβ)) dans l'eau distribuée et même dans l'eau embouteillée. Pourtant ces produits, utilisés sur les cultures de bananes, étaient interdits d'usage depuis de nombreuses années. Depuis 1977, quatre rapports indiquaient déjà l'existence d'une pollution dans les sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les insecticides organochlorés. Pourtant, malgré ces alertes, la recherche des pesticides n'a été effective, en Guadeloupe, qu'à partir de 1998.

Les méthodes d'analyses des pesticides sont difficiles à mettre en œuvre et coûteuses (entre 500 et 1000 euros pour une seule analyse complète). Parmi les 900 molécules homologuées sur le territoire français, seulement 60 représentant 80% des utilisations, sont systématiquement recherchées. Dans la liste on a oublié celles utilisées aux Antilles dont la virulence est pourtant bien connue. Mais de toutes façons ces départements d'outremer n'auraient eu aucun moyen d'en effectuer les analyses. Quand, en 1998, la Direction Régionale de l'Environnement (DIREN) de Guadeloupe a décidé de lancer une première étude, il n'existait pas, aux Antilles, de laboratoire adapté. Une première série de prélèvements confiée à des laboratoires métropolitains avait d'autre part révélé l'incapacité de ceux-ci à en rechercher la plupart. Le seul laboratoire capable d'analyser le Chlordécone a été le Laboratoire Départemental de la Drôme. 

Le résultat des mesures était édifiant. Dans l'eau, 45% des prélèvements dépassaient la norme de dieldrine avec un pic de 11 fois la norme, 80% des prélèvements dépassaient la norme de HCHβ avec un pic de 20 fois la norme, 100% des prélèvements dépassaient la norme de chlordécone avec un pic de 100 fois la norme.

Des effets inquiétants pour la santé

Les effets d'une intoxication aiguë par les organochlorés sont connus par la littérature médicale : tremblements, contractures musculaires, troubles du rythme cardiaque, hypertension, troubles visuels, troubles de la coordination, atteinte des fonctions sexuelles. Des convulsions sévères pouvant même entraîner la mort sont décrites. En métropole, la surveillance médicale des travailleurs agricoles est assurée par la Mutuelle Sociale Agricole (MSA). Mais les travailleurs agricoles des départements d'outre-mer ne relèvent pas de la MSA. On ne sait donc rien de la fréquence et des effets des intoxications aiguës dans les Antilles.

Les effets d'une intoxication chronique sont plus difficiles à cerner mais la question se pose du rôle des pesticides dans le fort taux de cancers de la prostate en Guadeloupe (220 à 240 cas nouveaux par an), ou encore d'une forme atypique de la maladie de Parkinson (on a trouvé une proportion plus forte de chlordécone dans le cerveau des personnes décédées). C'est dans le domaine des troubles de reproduction, et plus précisément de l'infécondité masculine qu'il existe le plus de signes du rôle néfaste des pesticides. Faut-il être optimiste quand le rapport Bonan/Prime estime que "La Guadeloupe constitue un lieu privilégié pour poursuivre un certain nombre d'études épidémiologiques sur les effets des pesticides sur la santé humaine".

 
En Martinique aussi.

Nous avons noté que c'est de Martinique qu'est venue l'alerte en métropole. Un rapport établi en mars 2003 par Eric Godard, ingénieur du génie sanitaire à la Direction de la Santé et du Développement Social (DSDS) de la Martinique, éclaire sur la pollution par le chlordécone.

L'eau, naturellement, est contaminée mais le rapport s'attache surtout à montrer la présence du pesticide dans les aliments. Des patates douces présentent 19 000 fois la dose maximale de chlordécone admise pour l'eau. Les poissons peuvent en contenir près de 4000 fois la dose maximale admise. Les services de la répression des fraudes de la Martinique, dans le cadre d'un plan de contrôle renforcé, ont détecté plus de 40% de lots de "légumes racines" non conformes. La population ayant été exposée à cette pollution pendant plus de trente ans, le rapport de la DSDS estime que la mesure de l'imprégnation des "cobayes humains" serait un bon indicateur du niveau de la pollution générale de l'environnement.

 

Principe de Précaution ou de Ponce Pilate ?


Réaction tardive à tous ces rapports : une mission parlementaire s'est rendue en Martinique et Guadeloupe début 2005. Son rapport, rendu public au milieu du mois de Juillet, n'a recueilli que la plus totale indifférence. S'il reprend les informations déjà connues, il s'emploie surtout à dédouaner l'Etat et les pouvoirs publics. Principe de précaution : l'Etat se couvre. S'il faut des responsables, ce seront les agriculteurs.

Les préfets de Guadeloupe et de Martinique ont pris des arrêtés pour imposer à tout producteur de légumes à risque un autocontrôle de sa production. Il doit déclarer la mise en culture (ou l'intention de cultiver) ses sols à la Chambre d'Agriculture. Celle-ci prélève alors un échantillon de sol, fait effectuer une analyse par un laboratoire agréé (coût : 240€ par échantillon, pris en charge par des fonds publics). Si le sol est contaminé et que l'exploitant décide, malgré tout, d'y poursuivre sa culture, il doit obligatoirement faire analyser sa récolte, à ses frais, avant commercialisation (120 € par analyse). Si sa récolte est contaminée il a alors l'obligation de la faire détruire.

Les parlementaires devaient constater l'impossible mise en œuvre de ce programme. Seulement 28% des agriculteurs de Martinique avaient appliqué la procédure en 2004. Il est vrai que la sanction prévue est loin d'être dissuasive : une amende de 39 euros ! Sanction d'autant moins dissuasive qu'il est impossible de mettre en œuvre un contrôle efficace. Le coût, pour l'administration, de l'analyse de seulement 10 échantillons prélevés à l'aveugle sur un marché coûterait plus de 1000 euros, sans compter le salaire des fonctionnaires !

Face à cette situation les propositions de la mission parlementaire ne peuvent sembler que dérisoires :

-          Créer un label pour les produits provenant d'un sol non contaminé. Mais un label n'a aucun sens s'il ne s'accompagne pas d'un organisme de contrôle vigilant et doté de moyens. Les agriculteurs bios en savent quelque chose.

-          "Décourager" la vente de produits le long des routes. Mais qui pourra empêcher le petit producteur de proposer sa production à la vente. Faudra-t-il aussi interdire la consommation des produits du jardin sous peine d'amende ? Et pourquoi limiter cette mesure aux marchés d'outremer. Est-on certain que les légumes vendus sur les marchés métropolitains sont exempts de pesticides ou de métaux lourds ?

Plus inquiétant : alors que la loi interdit clairement toute trace de pesticides non autorisés dans les végétaux (arrêté du 5 août 1992), il est prévu, avant la fin 2005, d'instaurer une LMR (limite maximale de résidus) pour le chlordécone. L'objectif étant de permettre la poursuite de la culture et de la vente des tubercules contaminés. Chacun sait que les limites admissibles ne répondent à aucun critère de santé. Dans le cas présent, la méthode de détermination, serait édifiante :

"Afin de fixer les LMR, il importe de cerner avec précision l'exposition des populations au chlordécone par voie alimentaire. En d'autres termes si la population consomme beaucoup de patates douces, la LMR pour ce légume sera faible, si elle consomme peu, la LMR pourra être plus élevée" (rapport parlementaire page 50).

Transposée en Bretagne, ou dans d'autres régions particulièrement polluées, une telle méthode amènerait à constater que, pour cause de pollution par les nitrates et les pesticides, la population bretonne consommant peu d'eau du robinet, on pourrait donc élever les normes de potabilité (par exemple jusqu'à 100mg/l pour les nitrates), comme le demandent certains représentants des professions agricoles.

 
Un MétalEurop agricole.

Un sol aussi contaminé ne peut que nous remettre en mémoire des exemples de pollution industrielle comme celle de Seveso (contamination des sols par la dioxine) ou de Métaleurop par le plomb. Cette dernière pollution ainsi que l'accident de AZF ont inspiré la loi du 30 juillet 2003 relative à la "prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages provoqués dans l'environnement". A présent une usine polluante devra remettre en état les sols qu'elle aura pollués. Dans le cas des pesticides utilisés dans les départements d'outremer, même si les utilisateurs agricoles ne peuvent être totalement absouts, la responsabilité des fabricants et marchands d'engrais et celle de l'état devraient être établies et un véritable plan de décontamination mis en place. Car il n'est pas possible de laisser les sols dans cet état pendant encore des dizaines et peut-être des centaines d'années !

Ce n'est pourtant pas l'avis des parlementaires venus en mission : "Aucune solution de dépollution des sols n'est envisageable à court terme" écrivent-ils en soulignant cette estimation de l'INRA : "il faudra plusieurs siècles pour que le lessivage des terres par le drainage vienne à bout de la pollution au chlordécone".

Phrases effrayantes. Les pouvoirs publics, la collectivité nationale, ont laissé empoisonner le sol et l'eau des Antilles et rien ne serait tenté pour réparer ?

Les cas de la Guadeloupe et de la Martinique sont les mieux connus mais les pollutions par les pesticides existent aussi à la Réunion.En Guyane, c'est la pollution des rivières par le mercure utilisé par les orpailleurs qui domine. Mais tous ces milieux fragiles doivent subir une autre source majeure de pollution : l'absence ou le mauvais fonctionnement de l'assainissement urbain ou individuel. Dans des régions où la population est concentrée près du littoral la pollution organique et bactérienne est redoutable. Sur les 15 stations existant à la Réunion, par exemple, seules trois fonctionnent à peu près normalement et plusieurs communes en sont même totalement dépourvues.

Devant un tableau aussi désespérant une question se pose : comment en sommes nous arrivés là ?

1964 une grande loi sur l'eau… pour la métropole.

La loi du 16 décembre 1964 " est la grande loi française sur l'eau". Dès le début des années 60, le constat a été fait d'une dégradation accélérée de la qualité de l'eau consécutive à la période de croissance de l'après-guerre. Des programmes d'investissement pour prévenir la pollution s'imposent, d'autant plus que les besoins en eau, prévisibles pour les années à venir, s'annoncent sans commune mesure avec ceux du passé. Originalité : la loi propose une politique de décentralisation avant la lettre en divisant la France en six bassins hydrographiques organisés autour des principaux fleuves de l'hexagone : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse, Seine-Normandie. Dans chaque bassin il est créé un "comité de bassin" composé de représentants des collectivités locales, de représentants d'usagers et de représentants désignés par l'état. A ces Comités de Bassin sont accolées six "agences financières de bassin", établissements publics administratifs dotés de la personnalité civile et de l'autonomie financière. L'agence a le pouvoir d'établir et de percevoir des"redevances" qui sont redistribuées aux entreprises et collectivités qui souhaitent mettre en place des outils de dépollution. Le pactole ainsi récolté atteint 10 milliards d'euros au niveau national par an en 2004.

Un oubli manifeste : les départements et territoires d'outre-mer. Il faut attendre trente ans (loi sur l'eau de1992), pour que les comités de bassin apparaissent dans les DOM/TOM. Le premier n'est créé qu'en 1996 en Martinique. Le dernier, celui de Mayotte, n'est pas encore en place. Mais un "comité de bassin" n'a qu'un rôle essentiellement consultatif. La réalité des pouvoirs et des moyens techniques et financiers se trouvent entre les mains des Agences de l'Eau. Or rien de tel outre-mer. Ce n'est qu'en décembre 2000 que la loi d'orientation pour l'Outre-mer décide, dans chaque département d'Outre-mer, de la création d'un Office de l'Eau, rattaché à chaque département et seulement depuis 2003, que ces offices sont autorisés à prélever des redevances. Auront-ils la volonté et les moyens de le faire ?

La montée en puissance des agences de l'eau métropolitaines a été lente. Il a fallu attendre 1990 pour constater la brutale accélération qui aujourd'hui amène le niveau des taxes et redevance à une moyenne de 20% de la facture d'eau. Afin de rattraper le retard pris dans les DOM/TOM, le niveau des redevances devrait atteindre un niveau au moins équivalent à celui de la métropole. Les consommateurs accepteront-ils de payer 20% plus cher une eau dont ils savent qu'elle est gravement polluée ? Quarante ans de retard ne se rattraperont pas aussi facilement.

Les DOM/TOM font-ils partie du territoire français ? Dans le rapport annuel de L'IFEN (Institut Français de l'Environnement) sur l'état de l'environnement en France rien ne manque : pollution de l'air, de l'eau, des sols jusqu'à même la pollution radioactive résultant de l'explosion de Tchernobyl. Tout, oui, concernant le territoire métropolitain mais très peu, sur les îles et territoires lointains qui mériteraient pourtant plusieurs chapitres à eux tous seuls.

Les DOM/TOM font-ils partie de la communauté européenne ? Dans le cadre de la mise en œuvre de la directive cadre européenne visant à un retour au "bon état écologique" de l'eau pour 2015, une synthèse des états des lieux des différents bassins du territoire français était présentée au Comité National de l'Eau du 23 juin 2005. Si l'état des six bassins continentaux était détaillé celui des départements et territoires d'outre-mer était à peine abordé.

Un constat s'impose : les départements et territoires d'outremer ont été totalement laissés en marge de la politique de l'eau menée par la France.

Un devoir de réparation :

Personne ne peut imaginer que, livrés à leurs seuls moyens techniques et financiers, les comités de bassin, les offices de l'eau qui se mettent en place dans les DOM/TOM puissent redresser quarante ans de laisser-faire. Ces biotopes particulièrement riches, ces milieux fragiles, auraient dû faire l'objet d'une attention particulière. On les a, tout au contraire, laissés se dégrader pour des intérêts à court terme. L'état français a un devoir de réparation vis-à-vis de ces départements et territoires qui font partie du patrimoine mondial.

La directive cadre européenne exige le retour à un bon état écologique des milieux aquatiques de l'ensemble du territoire Français pour 2015. Une priorité s'impose : la remise en état des sols et des milieux aquatiques des territoires et départements d'outremer.

 
Gérard Borvon



Chlordécone : l’UPG et 3 associations portent plainte

 

Le 3 mars 2006, 4 associations actives dans l’affaire de la pollution au chlordécone en Guadeloupe – l’Union Régionale des Consommateurs, SOS Environnement Guadeloupe, ASSE (Agriculture Société santé Environnement) et l’UPG – ont déposé une plainte contre X  pour « mise en danger de la vie d’autrui » et pour « administration de substances nuisibles ».

La dangerosité de cet insecticide est connue depuis de nombreuses années :

1976 : il est interdit aux Etats-Unis suite à la fermeture d’une usine de production pour pollution de son environnement immédiat et effets toxiques aigus du produit sur les travailleurs.

1977 et 1980 : deux rapports mettent en évidence la pollution des sols et des milieux aquatiques aux Antilles.

1979 : le chlordécone est classé comme cancérogène probable par le Centre International de la Recherche contre le Cancer.

1990 : reconnu toxique et fortement rémanent, il est interdit en France.

Pourtant, en Guadeloupe et en Martinique, une dérogation autorise les planteurs à l’utiliser jusqu’en 1993 – date de son interdiction définitive. Pendant une vingtaine d’années, « les bananeraies ont été traitées parfois plusieurs fois par an, à raison de 3 kg de substance active par hectare et par application ; au total près de 300 tonnes de substance active (soit 6000 tonnes de Curlone) ont été vendues, d’après les données commerciale de l’époque » (1).

Cette dérogation est véritablement scandaleuse car ceux qui l’ont accordée n’ont pas simplement enfreint le principe de précaution, ils ont surtout prolongé consciemment l’exposition au danger de la population antillaise et de son environnement.

C’est en 2002 que la catastrophe écologique et sanitaire éclate au grand jour lorsqu’une cargaison de patates douces en provenance de Martinique, contaminée au chlordécone, est saisie par les douanes à Dunkerque : preuve que l’insecticide, présent dans les sols antillais, a contaminé la chaîne alimentaire.

En Guadeloupe, le bilan de la pollution des sols et des eaux par le chlordécone est alarmant. On estime qu’au moins 4000 hectares soit un sixième de la surface agricole utile de la Guadeloupe sont pollués (voir carte) – et ce pour plusieurs siècles puisque aucun signe de dégradation de la molécule n’a été relevé. Les rivières du Sud Basse-Terre sont polluées et la pêche y a été interdite en 2005.

Face à cette pollution, la réaction des autorités a été tardive et bien timide : en 2003, deux arrêtés préfectoraux obligent les producteurs à faire analyser leurs sols avant toute mise en culture de tubercules et interdisent la vente des produits contaminés. Fin 2005, des limites maximales de résidus dans les produits végétaux et animaux sont fixées par l’AFSSA. Cependant, ces limites fixées à la hâte supposent des contrôles fréquents sur les marchés et sont difficiles à faire respecter dans la pratique.

La plainte déposée vise à faire établir les responsabilités dans cette affaire et, par la suite, à obtenir l’indemnisation des producteurs qui sont doublement victimes : d’abord parce qu’aux yeux des consommateurs, ce sont eux les pollueurs, et d’autre part car la contamination durable de leur outil de travail les plonge dans la détresse économique : obligés de se diversifier pour faire face à la crise du secteur de la banane mais sans alternative face à la pollution, ils se retrouvent dans une impasse.

Cette pollution au chlordécone est, aux Antilles, un des premiers désastres écologiques déclarés dû à la pratique d’une agriculture productiviste, industrielle et chimique. L’UPG dénonce ce type d’agriculture peu soucieuse des dégâts occasionnés sur l’homme et son environnement, et propose en alternative une agriculture paysanne visant à laisser un patrimoine sain aux générations à venir.

(1) : d’après le Bulletin d’Alertes et de Surveillance Antilles Guyane n°8 de Juin 2005





Chlordécone : pour un juste dédommagement des agriculteurs victimes

Depuis 2004, l’UPG s’est saisie du « dossier chlordécone », notamment par le biais de l’association ASSE (Agriculture Santé Société Environnement) dont nous sommes co-fondateurs (en juillet 2004). Depuis 2 ans, nous avons travaillé à informer agriculteurs, consommateurs et citoyens sur ce problème qui dépasse largement le cadre agricole et les zones bananières (contamination de l’environnement tout entier et grave affaire de santé publique). Ce travail a conduit, notamment, à la plainte déposée le 3 mars 2006 devant la juridiction pénale.

En parallèle, nous avons dénoncé la situation désastreuse des agriculteurs dans les zones contaminées depuis la publication de l’arrêté préfectoral de 2003. L’impossibilité de vendre les produits « à risque » (légumes-racines) ou de mettre en place ces cultures avant la publication des seuils autorisés (fin 2005), a entraîné pour ces producteurs de fortes pertes de revenus voire même l’absence totale de revenus. Dès lors, comment faire face aux dépenses engagées, comment faire fonctionner l’exploitation, nourrir sa famille, rembourser les emprunts… Où trouver l’argent pour se tourner vers d’autres productions ? Que répondre à la banque qui menace de saisir les terres, faute de pouvoir payer les dettes liées au foncier ?

Pour ces agriculteurs doublement victimes (en tant que consommateurs et en tant que professionnels) nous demandons depuis le départ :

1. la compensation des pertes de revenu liées à la présence de chlordécone sur leur terrain,

2. l’annulation des dettes sociales et fiscales contractées à cause de ces pertes de revenu, ainsi qu’un traitement particulier en cas de dette liée au foncier,

3. le financement de la reconversion de l’exploitation (prise en charge de la formation, des investissements et de l’accompagnement technique nécessaire au projet de reconversion).

Aujourd’hui, après plusieurs relances, nous sommes heureux de constater que d’autres syndicats agricoles ont enfin décidé de prendre la balle au bond. Cependant, nous déplorons leur tentative de reprendre en leur seul nom les revendications issues d’un groupe de travail intersyndical auquel nous participons. Le sujet est trop grave pour qu’on puisse se permettre de faire de la récupération politicienne, et il est primordial de rester unis.

Fin juillet 2006, la visite du Ministre de l’Agriculture a permis – enfin ! – de mettre à l’ordre du jour la question du soutien de l’Etat aux agriculteurs victimes de la pollution.

Le groupe intersyndical a rencontré à plusieurs reprises les services de l’Etat (DAF, Protection des végétaux) pour proposer un schéma de soutien. Cependant, la profession agricole s’est heurtée à la « lettre de cadrage » du ministère, dans laquelle il est précisé que le soutien ne devra pas excéder 3000 € par exploitation (hors aide à la reconversion).

L’UPG, ainsi que l’ensemble de la profession, dénonce ce plafond dérisoire par rapport au préjudice moral, financier et économique réellement subi par les agriculteurs concernés.

Ainsi, l’intersyndicale a adressé une proposition au Ministre demandant notamment un dédommagement des pertes de revenu sur la base de la valeur vénale du foncier (6700 €/ha contaminés).

Dans l’attente d’une réaction, il est impératif de poursuivre la mobilisation pour obtenir un soutien adéquat, car les 3000 € envisagés pour l’instant par l’Etat sont inacceptables. Surtout quand on sait que, face à d’autres crises telles que la grippe aviaire, des budgets énormes sont débloqués, proportionnellement à la gravité de l’incident. Nous n’accepterons pas 2 poids – 2 mesures pour une même situation de catastrophe écologique et sanitaire.

(encadré) L’UPG mobilisé sans relâche pour informer le plus grand nombre :

15 mai : Conférence organisée par l’UAG à Fouyolles, avec différents spécialistes, notamment de la santé

30 mai : Conférence organisée par les Verts à Vieux-Fort

11 juin : Manifestation « Rimèd razié » organisée à la Grivelière par l’association Verte Vallée

30 juin : Conférence organisée par la Maison de la Citoyenneté de Petit-Canal sur le   chlordécone les alternatives : agriculture paysanne et agriculture biologique

25 juillet : Intervention auprès des élèves du CFPPA de Petit-Canal : chlordécone et agriculture paysanne.

 

Publié dans Culture & tradition

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